par Jirah Smet
Aprà¨s avoir brisà© les chaà®nes de l’esclavage, la plus grande barbarie que l’humanità© ait connue, Haïti a toujours à©tà© guettà© par la superpuissance amà©ricaine qui livrait une bataille concurrentielle avec la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne, afin de prendre le contrà´le de tout le continent amà©ricain. A trente reprises, ils interviennent militairement dans leur arrià¨re-cour, pendant les trente premià¨res annà©es du sià¨cle dernier, dont Haïti en 1915, derrià¨re le slogan ” l’Amà©rique aux Amà©ricains “.
Lorsqu’en juillet 1915, les Yankees dà©barquent en Haïti, leur occupation a à©tà© vue comme une mission neutre politiquement et socialement. Pourtant à cà´tà©s des causes secrà¨tes, il suffit de s’intà©resser à l’Histoire d’Haïti pour connaà®tre les motivations rà©elles de ce dà©barquement.
Le 2 juillet 1914, lorsque le Prà©sident Oreste Zamor (8 fà©vrier 1914 – 27 octobre 1914) à©tait en butte à de sà©rieuses difficultà©s, le gouvernement amà©ricain lui a proposà© un projet de convention qui prà©voyait le contrà´le des douanes haïtiennes par les Etats-Unis, pensant que face aux problà¨mes que connaà®t ce gouvernement, le Prà©sident Zamor se courberait aisà©ment, moyennant certains avantages. Mais le Prà©sident Zamor refuse catà©goriquement de liquider le pays. Le 10 dà©cembre de la màªme annà©e, ce màªme projet a à©tà© prà©sentà© au Prà©sident Davilmar Thà©odore. Encore une fois, les Amà©ricains se sont heurtà©s au refus du Prà©sident haïtien. Considà©rant ces refus comme un affront de la part d’Haïti, Washington restait à l’affà»t de troubles politiques en Haïti, pour ne pas dire qu’il les provoquait, afin d’envahir le pays et imposer de force leur projet. Ainsi, suite à l’assassinat du Prà©sident SAM en juillet 1915, les Yankees dà©barquent en Haïti et prennent le contrà´le du pays. Cette occupation aura coà»tà© la vie à des dizaines de milliers d’Haïtiens. Charlemagne Pà©ralte, Commandant de Là©ogane, a affichà© une opposition historique, en refusant l’entrà©e de ses casernes à un dà©tachement de ” marines ” qui ira camper sous une tente à quelque deux cents mà¨tres de là , sur la place d’armes. Puis il dà©missionne pour ne pas coopà©rer avec le gouvernement fantoche, et rejoint la rà©sistance dans le Nord. Cette rà©sistance, sous la direction de Pà©ralte a à©tà© rà©primà©e impitoyablement par les troupes amà©ricaines. Treize mille Haïtiens ont pà©ri. Quant à Charlemagne, il a à©tà© dà©noncà© par un certain Conzà© que l’on paya trois mille dollars. Charlemagne Pà©ralte fut tuà© de deux balles par un marine amà©ricain dà©guisà© en Haïtien, dans son campement màªme où il se croyait en sà©curità©, au moment où il dà©livrait un message à ses hommes. Son corps à moitià© nu, attachà© sur une porte, a à©tà© exposà© publiquement par les Amà©ricains, dans la ville du Cap, au nord d’Haïti, le 1er novembre 1919.
Un de ses lieutenants, Benoà®t Batraville, qui a pris la tàªte de la rà©sistance pour continuer la lutte pour la libà©ration du pays, a à©tà© lui aussi assassinà© par un marine et inhumà© dans une uniforme de marine. C’à©tait une faà§on de l’humilier, puisqu’il n’aimait pas les marines.
Ayant appartenu à cette Gà©nà©ration qui a subi douloureusement les humiliations infligà©es au peuple haïtien par les occupants amà©ricains, de 1915 à 1934, Jacques Roumain, à©crivain, journaliste, essayiste et homme politique haïtien, a compris que les masses travailleuses des villes et des campagnes sont les artisans incontournables de notre libà©ration. A l’age de 20 ans seulement, Roumain s’est engagà© à dà©fendre son pays contre les occupants, car sa flamme patriotique brà»lait d’un feu ardent. En dà©cembre 1928, il est emprisonnà© avec deux de ses confrà¨res, Georges Petit et Elie Guà©rin, pour dà©lit de presse à l’endroit du Prà©sident Louis Borno qu’il accuse de collaborer avec les occupants.
Aprà¨s l’à©limination de Charlemagne Pà©ralte en 1919 et de Benoà®t Batraville en 1920, par les Yankees, les Amà©ricains croyaient avoir portà© un coup fatal à la rà©sistance haïtienne. Mais heureusement Haïti a le mà©rite de produire des modà¨les d’homme dont la grandeur d’à¢me et le sens à©levà© de dignità© à©tonnent plus d’un.
Tandis que Jacques Roumain est incarcà©rà© au pà©nitencier national, il n’a pas abandonnà© la lutte. Le 22 janvier 1929, Le Petit Impartial publie un article injurieux pour Louis Roy, dont la fille Marie-Henriette à©tait fiancà©e à Jacques Roumain. Rà©à©lu prà©sident du trà¨s sà©lect Cercle Port-au-princien, Louis Roy se voit traità© de traà®tre et de “triste valet de Louis Borno”. Le dà©tenu Jacques Roumain ayant refusà© de dà©savouer l’article de son journal, les fianà§ailles sont rompues.
Le 1er juin 1930, aprà¨s la chute du prà©sident Borno, Jacques Roumain est nommà© Chef de Division du Ministà¨re de l’intà©rieur par le prà©sident par intà©rim Eugà¨ne Roy. Le pouvoir, en faisant de Roumain un fonctionnaire, veut se donner bonne figure. Roumain, qui ne se trompe pas sur ses intentions, dà©missionne aprà¨s quelques mois”. (R. Dorsainville, Jacques Roumain, 1981, p.66)
” Y eut-il jamais dans ce pays, exceptà© à la belle à©poque de l’à‰popà©e rà©volutionnaire, un plus grand à©panouissement de crà¢nerie tel qu’en montrent un Jolibois fils, un à‰lie Guà©rin, un Jacques Roumain, un Georges J. Petit?” (J. Price-Mars, Une à©tape…, 1929, p.87)
Jacques Roumain et ses camarades ont menà© un combat farouche contre l’occupant amà©ricain et ses allià©s locaux. Dans un opuscule, l’Analyse Schà©matique 32-34, il a dà©noncà© sans mà©nagement, la couardise, les compromissions des classes dominantes haïtiennes avec les occupants amà©ricains et le faux nationalisme arborà© par les politiciens bourgeois et petits bourgeois qui au fond ne faisaient que nourrir des illusions au sein du peuple, alors qu’en rà©alità© ils collaboraient avec l’à©tranger et expà©rimentaient le nà©ocolonialisme avant la lettre sous le vocable trompeur de l’haïtianisation. La publication de ce document, l’acte fondateur du parti communiste haïtien, lui a valu trois annà©es d’emprisonnement, à la suite desquelles il part pour l’Europe. Sa santà© restera fragilisà©e des suites de sa dà©tention: il y a contractà© un paludisme dont il souffrira dà©sormais des crises rà©currentes. Rongà© par la maladie, aprà¨s avoir terminà© son ouvrage, l’un des plus connus, ” Gouverneurs de la rosà©e en juillet 1944, il meurt en Haïti, le 18 aoà»t 1944, à l’age de 37 ans.
Cette annà©e, le ministà¨re haïtien de la Culture et de la Communication a lancà© le vendredi 9 fà©vrier 2007, des actività©s commà©morant le centenaire de la naissance du cà©là¨bre à©crivain, poà¨te et homme politique haïtien, Jacques Roumain. Ces actività©s commà©moratives ne doivent pas rappeler aux Haïtiens que les Å“uvres littà©raires de ce grand homme, mais aussi et surtout la flamme patriotique qui brà»lait au-dedans de cet homme. A un moment où notre pays connaà®t, pour la troisià¨me fois, l’humiliation de l’occupation, la commà©moration du centenaire de la naissance de Jacques Roumain devrait coïncider avec un vrai mouvement de rà©sistance contre les occupants. Car si Roumain revenait aujourd’hui parmi nous, il ne tolà©rerait pas que notre pays soit occupà©, il prendrait position contre tous ceux qui collaborent avec l’occupant comme il l’a fait de son temps. De la màªme manià¨re, la misà¨re et la souffrance du peuple haïtien ne le laisseraient pas indiffà©rent.
De l’autre cà´tà©, il faut reconnaà®tre que l’actuel gouvernement ( le gouvernement Prà©val- Alexis) aura, devant l’histoire, le mà©rite d’avoir mis Jacques Roumain sur un pià©destal, ce que d’autres n’ont pas su faire. Car si d’un cà´tà© le gouvernement collabore avec les occupants, de l’autre, remettre Roumain à l’honneur est un acte louable, patriotique, un acte à màªme de secouer les consciences endormies. Aujourd’hui notre jeunesse a besoin de lumià¨re, elle a besoin de repà¨re ; donc elle a besoin qu’on lui montre ce chemin tracà© par Jacques Roumain. Max Vieux et Max Sam, deux anciens camarades de Roumain, encore vivants, affirment que Jacques Roumain à©tait un modà¨le pour les jeunes de sa gà©nà©ration et pour les Haïtiens, en particulier, qui ràªvent d’une Haïti prospà¨re. Ils souhaitent que les jeunes de ce pays marchent dans le sillage de Jacques Roumain en vue de ” montrer au peuple haïtien le chemin de l’honneur et de la dignità© “.