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L’Euro divise l’Europe

Réunion du mouvement anti-Euro français


7. December 2014
Wilhelm Langthaler

Du 8 au 11 novembre 2014, l 'Université d'automne du M’PEP (Mouvement politique d'émancipation populaire) a eu lieu à Bordeaux. Elle s’est tenue sous le titre : « Une nouvelle dynamique de résistance républicaine à l’union européenne - Démondialiser pour reconquérir la souveraineté nationale »


Des organisations et mouvements de Grèce, Italie, Espagne et Autriche s’y sont également exprimés. Tendance générale : la colère populaire contre le diktat d’austérité exercé par le régime de l’euro de Berlin est en augmentation et pourrait bientôt exploser.

La disparition des classes dirigeantes françaises

Pour l’UE la France n’est pas un pays comme les autres. Elle n’appartient ni à la périphérie sud comme la Grèce et le Portugal, ni au centre périphérique comme l’Italie. Paris était jusqu’alors considéré comme le pasteur spirituel de l’Union, son véritable démiurge. Ce fut la bureaucratie française qui a forgé l’axe germano-français et l’intégration européenne dans le but de construire un régime supranational pour les classes capitalistes. Ses partenaires et elle voulaient se renforcer institutionnellement pour éliminer les acquis sociaux et démocratiques obtenus par les classes populaires après la Seconde Guerre mondiale. L’objectif était un quasi-État européen. De cette façon, ils voulaient en même temps contrôler leur voisin allemand plus fort et potentiellement dangereux. Pour ce faire la méthode était la suivante : en échange de l’adoption des fondements économiques allemands (qui de toute façon étaient en accord avec les dogmes néo-libéraux épousés partout), l’Allemagne se devait d’accepter un condominium politique.

Jusqu’à l’éclatement de la crise 2007/2008 ce concept a semblé bien fonctionner. Mais en réaction à cette crise aiguë, Berlin a commencé à imposer ses propres recettes aux autres états. La monnaie unique a dépouillé l’Europe du mécanisme de rééquilibrage que représente la dévaluation. Et l’UE, d’autre part, n’a pas contre-attaqué en soutenant ses régions les plus faibles comme on s’attendrait qu’un état le fasse : Berlin a bloqué les garanties de la dette publique, a refusé des mesures fiscales anti-cycliques et n’a pas autorisé de transferts sociaux suffisants. C’est seulement au moment d’un effondrement imminent, qu’il a fini par choisir d’intervenir avec un soutien minimum. De cette façon, l’oligarchie allemande pousse l’UE dans l’abîme et creuse un fossé entre les différentes classes dirigeantes nationales. L’idée de construire l’UE comme un exécutif commun des classes capitalistes européennes est morte. L’impact politique global et la déstabilisation résultante pour les classes dirigeantes françaises sont encore à venir.

Les principales victimes du régime de l’euro sont les classes populaires du sud de l’Europe. Le principal perdant politique est cependant l’Etat français. Il a créé ce monstre (et continue à y souscrire) tout en étant englouti par sa création. Hollande apparaît comme l’impuissance personnifiée.

Les réactions populaires sont massives, mais ne peuvent pas avoir le même impact institutionnel que dans d’autres pays. Les classes dirigeantes françaises se sont blindées avec l’un des systèmes électoraux les plus antidémocratiques du continent. Mais la perte de légitimité non seulement du système politique et de ses partis, mais de l’ensemble de l’Etat est énorme.

La montée du Front national (FN) exprime le ressentiment populaire et les protestations, mais en même temps sert de soupape de sécurité. Joël Perichaud, l’un des dirigeants du M’PEP, appelle tripartisme le fait de concevoir le FN comme une partie intégrante du système. Selon cette appréciation Le Pen ferait partie de la «caste» que le mouvement espagnol Podemos qualifie de « toute la classe politique du système ». Nous avons quelques doutes quant à savoir si la question est véritablement si tranchée.

Souverainisme populaire

Le programme du M’PEP se concentre sur la lutte pour la souveraineté nationale. Ils ne s’agit cependant, aucunement de revenir à la règle des classes dirigeantes capitalistes nationales, mais de faire respecter les intérêts des classes populaires, de la majorité de la population, établissant ainsi une véritable démocratie. Les mesures immédiates préconisées : la sortie de l’euro, de l’UE, de l’OTAN, etc. la nationalisation du système bancaire, le démantèlement des marchés financiers, un programme public d’investissements pour la ré-industrialisation, mettre fin au régime de libre-échange et de la mondialisation.

Grosso modo tous les mouvements progressistes anti-euro à travers l’Europe se retrouvent dans ce programme. Jacques Nikonoff, porte-parole du MPEP, l’a résumé ainsi lors du meeting final : « Nos amis européens suivent plus ou moins le même chemin, même si nous ne nous sommes rencontrés que récemment. Finalement, nous prospérons sur les mêmes contradictions au sein de la société en exprimant les intérêts des classes populaires » .

Le syndicaliste italien Fabio Frati, qui représentait « la coordination de gauche contre l’euro », a déclaré que le dernier recours des Européistes est d’évoquer les fantômes passés du nationalisme qui ont causé des ravages en Europe pendant des siècles. En fait, c’est le contraire qui est vrai : le diktat d’austérité allemand imposé à l’Europe est de plus en plus, et à juste titre, perçu comme inspiré par des motivations nationales allemandes. C’est une forme d’impérialisme économique, mais sans les mesures d’accompagnement impériales. La colère populaire ne cesse de croître et tôt ou tard fera surface en des éruptions anti-allemandes. L’UE a finalement échoué à tenir sa promesse d’homogénéiser l’Europe socialement par le rapprochement entre le centre et la périphérie. Au contraire, l’Union européenne et en particulier son régime imposé, qui appauvrit rapidement le sud, divise l’Europe et fomente de nouveaux conflits nationaux aussi bien en son sein qu’à à l’extérieur de l’Union (cf. la destruction de l’ancienne Yougoslavie et maintenant l’Ukraine).

Très français

Comme observateur étranger, on peut remarquer certaines particularités très françaises. Bien que difficile à comprendre pour les forces anti-capitalistes venues d’ailleurs, elles soulignent que leur origine est à la fois l’expression et le produit d’un mouvement historique réel.

Frati l’a exprimé en un mot : « Nous, les Italiens, avons toujours mené le combat contre l’Etat. Mais les Français voient cela différemment. Ils sont obsédés par l’Etat central » .

Anicet Le Pors, ancien ministre communiste dans un gouvernement Mitterrand, a par exemple, carrément refusé le fédéralisme, la démocratie directe et participative, la délégation, etc. Certes, ces concepts ne sont pas clairs et peuvent même être utilisés par les classes dirigeantes pour arriver à leur fins. Mais l’aspect indéniable que de grandes sections des masses populaires et aussi certaines parties des couches éduquées sont à la recherche d’alternatives à la domination de l’oligarchie, qui est de moins en moins camouflée par la démocratie formelle, n’a pas été pris en compte par Le Pors. Il reste une tradition sanctifiée et creuse de la révolution française qui projette sur l’état l’exigence d’exprimer la «volonté générale», selon Rousseau – indépendamment du fait que c’est l’État des capitalistes. C’est seulement, lorsque tout d’un coup cette volonté générale se trouve à Bruxelles, ou pire, à Berlin, que le scandale de la contradiction entre la revendication et la réalité se révèle suffisamment important. Certes, Le Pors ne représente pas le M’PEP. Mais il exprime sûrement une tendance dans la société qui alimente également le mouvement anti-Euro.

La question de la « laïcité » n’est pas très différente. Compte tenu de la vague chauvine anti-islam écrasante, on ressent le besoin de prendre une distance plus éloignée de celle d’une grande partie des classes dirigeantes qui se réfèrent également à la laïcité.

L’Europe du Sud

Les contributions de l’Espagne, l’Italie et la Grèce ont aussi été très importantes. Dans tous ces lieux, les institutions sont déjà amoindries au point que des mouvements potentiels anti-système de protestation politique sont sur le point d’émerger et de faire surface.

Les sondages d’opinion attribuent à Podemos en Espagne le ralliement d’une majorité qui sème la panique dans les rangs de « la caste ». Par cette expression Podemos se réfère à la classe politique qu’elle soit de gauche ou de droite. Il faut cependant noter que ses dirigeants sont originaires de la jeunesse de la « Gauche Unie » (UI). Podemos place par conséquent tous ses espoirs pour gagner les élections en évitant des positions radicales et trop définies. Les espoirs des masses populaires sont d’autant plus investis sur Podemos.

Manuel Monereo Ortiz, un dirigeant politique investi à la fois dans Podemos et l’UI, envisage la rédaction d’une nouvelle constitution démocratique et fédéraliste en se débarrassant complètement du système post-Franco. Avec l’évolution des rapports de force une nouvelle approche vers un nationalisme de gauche des Catalans, Basques, etc. pourrait devenir possible, en coalition contre l’oligarchie capitaliste, le régime de l’euro et l’UE.

En Italie, la gauche souverainiste est déjà organisée au moyen d’une coalition qui a joué le rôle de brise-glace. Aujourd’hui on peut observer un changement radical dans l’opinion publique contre l’euro dans la mesure où des éléments de l’ancien système tentent de se recycler en adoptant ces sentiments – de manière évidente la Ligue du Nord, par exemple. Même le premier ministre Renzi joue avec ce feu tandis que ses adversaires au sein de son propre parti PD ne peuvent plus défendre la bannière de l’UE de manière aussi intransigeante qu’auparavant. Il sera difficile pour Renzi de gérer le conflit inévitable avec Berlin, comme il ne peut ni revenir en arrière ni aller de l’avant. Pour des collaborateurs comme Monti il n’y a plus de marge de manoeuvre, pour éviter un grave affrontement. Renzi n’y est pas prêt non plus. Une mise à enjeux si élevés peut conduire à tout perdre.

Le « Front populaire uni » (EPAM) de Grèce était également présent. Tout en partageant la ligne générale décrite ci-dessus, ils insistent fortement à dépasser le schéma de gauche/droite afin de recueillir le soutien des masses populaires.

Prochaines étapes européennes

Ceux que l’on pourrait appeler « la tendance souverainiste populaire » en Europe partagent l’avis que la gauche historique est tout au moins responsable pour ce régime de l’euro que la droite historique. Nous refusons tous le mécanisme du « vote tactique », mécanisme, qui est aussi appelé « anti-Berlusconisme » (tout sauf Berlusconi) : selon cette position le neo/centre/ gauche/libéral doit être soutenu afin d’atténuer la menace de la droite. En fait, la catastrophe sociale actuelle a été causée par le régime de l’ euro qui n’a fait qu’ouvrir le champ sur lequel la «droite sociale» a prospéré. La «droite sociale » ne peut être affrontée que par la lutte contre l’européisme et le centre libéral considérés comme ennemi principal. Nous devons interpeller les nombreux adeptes de la droite sociale parmi les couches populaires qui peuvent être regagnés au moyen d’un souverainisme radical et un programme anti-capitaliste.

Il a été décidé de renforcer la coordination européenne , et de nous fixer comme but de nous atteler à construire une association internationale contre l’euro et l’UE pour la souveraineté nationale des peuples.

Traduction : Cécile Guillerme – M’PEP

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