par Jirah Smet
Au moment ou l’on s’appràªte à fàªter le 204à¨me anniversaire de la crà©ation de notre drapeau, Haïti respire sous les bottes d’une force d’occupation, maquillà©e en mission des nations unies pour la stabilisation de ce pays. Or la crà©ation du drapeau haïtien par Jean-Jacques Dessalines le 18 mai 1803 à©tait un signe annonciateur de l’indà©pendance. Car ce drapeau symbolisait non seulement l’unità©, mais aussi la dà©termination et la volontà© indomptable d’un peuple qui voulait finir une fois pour toutes avec l’esclavage, l’oppression et l’humiliation.
En dotant Haïti d’un drapeau, Dessalines a portà© à son plus haut degrà© l’idà©e de libertà© prà´nà©e par Toussaint Louverture. Car la libertà© sans l’à©galità© n’est rien. Parce que si un peuple est libre lorsqu’il n’est ni opprimà© ni conquis, il faut bien qu’il soit à©gal c’est à dire souverain.
Aujourd’hui, ce peuple se souvient, la mort dans l’à¢me, de ces moments glorieux de son histoire. Rongà©e par l’amertume, il donne l’impression de faire marche arrià¨re. Mais en rà©alità©, s’il recule c’est pour mieux bondir. Car un peuple n’est jamais vaincu et, de plus, dans l’esprit dessalinien, Haïti doit àªtre un Etat indà©pendant, absolument souverain, et les Haïtiens doivent pouvoir jouir de cette souverainetà© sans aucune restriction, sans aucune limitation.
Mais Dessalines avait soulignà© aussi que la souverainetà© doit avoir pour assise l’à©conomie. Malheureusement, aprà¨s son assassinat, l’imbrication du pouvoir politique, un pouvoir militaire à l’à©poque, et de la grande proprià©tà© foncià¨re s’à©tait rà©alisà©e en Haïti. Les pouvoirs successifs se sont progressivement livrà©s à des manÅ“uvres malhonnàªtes, surtout avec l’arrivà©e des nà©gociants consignataires, les banquiers, et les spà©culateurs, en majorità© des à©trangers qui pratiquaient le commerce d’exportation et d’importation. Ainsi un vaste mouvement de contrebande se dà©ployait dans les ports d’Haïti et parvenait à contourner toutes les mesures prà©vues par la là©gislation. L’à©conomie haïtienne a entamà© alors sa chute libre, en se trouvant sous la coupe de ces grands nà©gociants et banquiers à©trangers qui tournaient l’interdiction d’acquà©rir des terres et de se livrer au commerce de dà©tail, en s’associant avec des Haïtiens ou en utilisant des pràªte-noms. Il faut souligner à cà´tà© de tout cela le poids de la dette de l’indà©pendance, les 150 000 000 de Francs Or qu’Haïti a du payer à la France pour la reconnaissance de son indà©pendance, en 1825. C’est l’ensemble de ces facteurs qui a bloquà© l’industrialisation du pays et perpà©tuà© sa dà©pendance à©conomique, en imposant l’usage de marchandises importà©es. Donc un coup dur à la production locale. On achà¨te quasiment tout, on n’a presque rien à vendre. Entre-temps, les masses populaires sont maintenues dans l’analphabà©tisme et l’ignorance. Cette situation a facilità© aux grandes puissances impà©rialistes le contrà´le du pays. Parce que le principe de l’à©quilibre à©conomique veut que pour acheter il faut d’abord vendre. Or pour vendre, il faut d’abord produire. Etant donnà© qu’Haïti ne produit pratiquement plus, cela explique le fait qu’on est passà© de la ” perle des Antilles ” à un des pays les plus pauvres du monde, dire mieux, les plus appauvris du monde. Donc pas la peine de se voiler la face, quand on est à©conomiquement dà©pendant, on l’est politiquement aussi. Parce que les grandes puissances impà©rialistes mà¨nent les pays pauvres par les tripes. Le meilleur moyen pour elles de dominer les peuples dits du sud, c’est de les affamer.
Au dà©but du sià¨cle dernier, la sale occupation amà©ricaine de 1915 à 1934, qui a coà»tà© la vie à plus de 30 000 Haïtiens, a aggravà© la situation socio-à©conomique du pays. En effet, les occupants ont imposà© leur contrà´le financier, remplacà© l’armà©e haïtienne par un corps de gendarmerie de deux mille hommes, un và©ritable instrument de rà©pression pour sauvegarder leurs intà©ràªts et ceux de la bourgeoisie compradore haïtienne. Puis, ils ont fait voter une nouvelle constitution le 8 mai 1918 qui abolit l’interdiction faite aux à©trangers d’acheter des terres. C’à©tait une grande porte ouverte aux plantations à©tendues dont l’exploitation s’accompagnait de la dà©possession massive de paysans. Devant leur impuissance de faire valoir leurs droits, rongà© par la misà¨re et le dà©sespoir, prà¨s de 250 000 d’entre eux ont à©migrà© principalement vers Cuba, puis en rà©publique dominicaine. Ce mouvement a à©tà© freinà© en 1937, aprà¨s l’assassinat de 13 000 Haïtiens à la frontià¨re haïtiano-dominicaine par les troupes du dictateur dominicain, Rafael Trujillo.
Aprà¨s le dà©part physique des occupants, la traversà©e du dà©sert devient de plus en plus longue et à la fois pà©rilleuse pour les masses populaires haïtiennes. Entre 1941 et 1946 sous le gouvernement du Prà©sident Elie Lescot, 60 700 hectares de foràªt ont à©tà© concà©dà©s à la Socià©tà© haïtiano-amà©ricaine de dà©veloppement agricole ( S.H.A.D.A) qu’elle devait exploiter, avec l’aide d’une banque de Washington (Export-Import Bank), pour y produire du caoutchouc à des fins stratà©giques, expropriant ainsi des paysans et dà©truisant des arbres et des habitations. Pendant cette pà©riode, la dà©forestation a connu une avancà©e spectaculaire en Haïti. En 1957, avec l’arrivà©e du Docteur Franà§ois Duvalier au pouvoir, les masses haïtiennes croyaient que leur situation allait changer, puisque ce docteur politicien prà´nait l’idà©e de l’à©mergence des classes les plus exploità©es et les plus humilià©es. Pourtant sous son rà©gime, le sort des paysans haïtiens ne fait que s’aggraver. Ceux qui cultivent la terre n’ont aucun encadrement, la production locale recule à grands pas. Mais au dà©but des annà©es 80, l’abattage des cochons (porc) crà©oles par le gouvernement de Jean-Claude Duvalier a enfoncà© le clou. Depuis, abusà©s appauvris et exploità©s, les paysans se rà©fugient dans les grandes villes avec l’espoir de trouver un petit emploi ; certains risquent leur vie sur des embarcations surchargà©es, pour se rendre en Floride, à la recherche d’une vie meilleure ; d’autres se retrouvent en rà©publique dominicaine, dans le cadre d’un contrat dà©shumanisant signà© entre des responsables haïtiens et dominicains, une sorte de trafic nà©grier qui dure depuis plusieurs dà©cennies. Ce contrat reste jusqu’à aujourd’hui un grand mystà¨re et aucun gouvernement n’ose ouvrir le dossier, afin d’à©clairer le peuple sur cette affaire.
Comme par le passà©, des travailleurs haïtiens continuent de se faire massacrer en rà©publique dominicaine, et les dirigeants haïtiens restent indiffà©rents. Tandis qu’au niveau de la population l’indignation est grandissante, le pouvoir en place n’ose màªme pas soulever avec les dirigeants dominicains la question relative au sort de nos compatriotes qui vivent sur le territoire voisin. Qui plus est, malgrà© les mauvais traitements que connaissent certains de ces Haïtiens, le gouvernement dominicain n’a pas honte de se prà©senter comme le dà©fenseur des intà©ràªts d’Haïti. Il a màªme manifestà© le dà©sir de gà©rer les fonds destinà©s à Haïti, comme si les Haïtiens ne pouvaient plus se prendre en charge. Mais les responsables haïtiens, ayant perdu le sens de dignità©, acceptent cet à©tat de fait comme si c’à©tait normal. D’ailleurs, ignominieusement, le ministre haïtien des affaires à©trangà¨res, Jean-Reynal Clà©rismà©, a acceptà© de participer en tant qu’observateur à une rà©union qui devrait se tenir du 17 au 20 avril 2007, entre l’Union europà©enne et le Groupe de Rio, où la Rà©publique dominicaine a demandà© l’inscription à l’ordre du jour de la question haïtienne qu’elle y prà©sentera. Nous considà©rons cet acte comme une insulte au peuple haïtien. Je ne pense pas qu’on soit un peuple au destin tragique et qui doit vivre dans la mort. C’est inadmissible !
Comment comprendre que le gouvernement haïtien accepte cette humiliation sous prà©texte que la rà©publique dominicaine pourrait demander de dà©bloquer des fonds en faveurs d’Haïti ? Depuis quand les Dominicains à©taient mandatà©s pour reprà©senter Haïti ? Par qui ? Le peuple haïtien a à©lu un Prà©sident et un parlement pour dà©fendre ses intà©ràªts. S’ils ont failli à leurs obligations qu’ils l’avouent. Car lorsque le 7 fà©vrier 2006 le peuple a votà© Renà© Prà©val, c’à©tait non seulement pour barrer la route à ceux qui nous ont dà©jà infligà©s tant de souffrances par le passà©, mais aussi dans l’espoir d’un changement et cela, à tous les niveaux. Aujourd’hui il est difficile de comprendre que ce gouvernement ne puisse pas dà©fendre dignement la cause d’Haïti. Si Monsieur Clà©rismà© n’a pas assez de compà©tence pour un tel poste, qu’il dà©missionne ou que le Prà©sident Prà©val le remplace tout simplement. Car cela se voit màªme dans nos reprà©sentations diplomatiques où il se passe des choses incroyables, sans que Monsieur Clà©rismà© ne fasse pas le moindre effort pour redorer l’image d’Haïti. Face à ces situations, on se demande si la fonction de Chancelier est seulement un gagne-pain, et non plus un poste à grandes responsabilità©s qui requiert des connaissances et des compà©tences spà©cifiques. Pourquoi prà´ner le silence face à une situation qui ne fait que dà©truire notre passà© glorieux, notre fiertà© et notre dignità© de peuple. Il faut se ressaisir pour agir dignement et efficacement. Haïti pleure aujourd’hui, elle a besoin des vrais fruits de ses entrailles pour essuyer ses larmes.
Le 18 mai 2007