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Haïti : La roue de l’histoire ne tourne jamais à l’envers

23. April 2008

par Jirah Smet

On dit souvent que les années passent et ne se ressemblent pas, mais pour le peuple haïtien, si les jours ne se ressemblent pas, c’est tout simplement parce qu’ils sont de plus en plus sombres. Mais quant au décor c’est toujours le même depuis ces dernières décennies : la misère.

Nous sommes en 2008, l’an 204 de notre indépendance, le pays nage dans le désespoir, le chagrin, l’incertitude. Pour moi, cette situation ne devrait que fouetter la conscience de classe du peuple haïtien face à ses ennemis de classes pour qu’il s’engage dans la lutte contre la mauvaise gouvernance, la corruption, l’égoïsme et l’ingérence étrangère, qui ont toujours conditionné la misère et la souffrance de ce peuple. Le temps s’en va et rien ne va ; la situation du pays ne cesse de se dégrader, alors que le peuple en a vraiment assez de la misère et de la privation de toutes sortes. Les manifestations qui ont eu lieu dans plusieurs villes, la semaine passée, en Haïti, en sont un témoignage vivant.

Pourtant, Haïti devrait être un pays économiquement prospère et politiquement stable, d’après la vision de Dessalines, le fondateur de cette nation. Dessalines avait la vision de la construction d’un Etat souverain, indépendant, prospère, égalitaire et culturellement plus conscient de son identité. Il avait donc un vrai projet de société. D’ailleurs, je ne peux pas m’empêcher de revenir chaque fois sur cette question posée par Dessalines après l’indépendance, puisque jusque aujourd’hui encore rien n’a été fait et la politique d’Haïti d’aujourd’hui est encore très loin d’être à la hauteur du rêve formulé par Jean-Jacques Dessalines. Au lendemain de l’indépendance, Jean-Jacques Dessalines, voyant que les généraux voulaient s’accaparer de tous les biens laissés par les colons, a posé cette question : « Et les pauvres noirs dont les pères sont en Afrique, n’auront-ils rien dans le partage du gâteau national ? » Les biens, dit-il, laissés par les colons doivent être gérés par l’Etat au profit de la collectivité. Il visait également la mise en place d’une structure agricole axée sur la grande propriété d’Etat, en vue de produire quantitativement, pour pouvoir satisfaire les besoins de la nation et de la révolution.

Mais qu’est-ce qu’on constate aujourd’hui, deux siècles plus tard ? Le peuple haïtien vit presque exclusivement de l’importation et l’Etat n’a rien fait pour favoriser la relance de la production nationale. Le pays n’est toujours pas organisé. En effet, il y a une chose qu’il importe de souligner, c’est que ce que l’on vit aujourd’hui n’est que la conséquence à la fois de la mauvaise gouvernance, de la corruption et de l’instabilité politique que connaît ce pays depuis plus d’un siècle. Au lendemain de 1804, Jean-Jacques Dessalines voulait instaurer en Haïti un système sociopolitique qui devrait avoir des retombés positives pour toute la collectivité. Sa politique visait les gens d’abord. Mais, en luttant contre les courants hétérogènes susceptibles de saper les bases de ce système qu’il voulait implanter dans son pays, il s’est heurté à la trahison de ses confrères, et cela lui a coûté la vie. Par son assassinat, on a tué ce projet dans l’œuf pour faire place à un système capitaliste imposé par la bourgeoisie monopoliste qui opprime et exploite les masses populaires. Même si le peuple haïtien n’a jamais cessé de mener toutes formes de luttes en vue d’une transformation sociale, ses efforts sont toujours bafoués à causes des manœuvres de certains politiciens opportunistes et réactionnaires bien inféodés au système capitaliste.

On sait que l’impérialisme provoque et fait déclencher des tensions, entraînant l’instabilité politique et économique. On n’est pas sans savoir que les puissances impérialistes multiplient des interventions et agressions contre les pays et les peuples qu’elles exploitent et oppriment. Dans le cas d’Haïti l’exemple le plus frappant est l’occupation américaine de 1915 à 1934 qui a fait des dizaines de milliers de victimes et a ruiné le pays. D’ailleurs l’un des premiers actes posés par les yankees, à leur arrivée en Haïti, a été le pillage des réserves d’argent dont disposait le pays. Ils sont allés les déposer à la New York City bank, pour par la suite obliger l’Etat haïtien à contracter des emprunts auprès des banquiers américains. N’est-ce pas un crime odieux ? C’est également pendant cette occupation que le processus d’expropriation des petits paysans s’est accéléré en Haïti, l’une des causes du départ de la plupart des paysans haïtiens vers la capitale, un coup très dur à la production agricole haïtienne. On ne saurait oublier l’énorme quantité de terres que les bourgeois haïtiens ont cédées aux Américains pour la production de l’hévéa. Et l’on sait aussi que pour faciliter cette production ils ont éliminé beaucoup de plantations et exproprié beaucoup de paysans. Il faut dire que les paysans haïtiens ont été les premières victimes de cette sale occupation. Après le départ des Yankees, le même processus a continué ; car ils ont eu assez de temps pour dissoudre notre armée nationale pour fonder un corps de tortionnaires à leur solde et à celle de la bourgeoisie monopoliste, ayant pour but le renversement de tout gouvernement dont la couleur politique ne plait pas à Washington.

La course vers l’appauvrissement d’Haïti va s’accentuer avec l’abattage au début des années 80 de nos cochons créoles, puis l’arrivée sur le marché haïtien du riz de Miami (diri Jean-Claude la) avec le gouvernement de Jean-Claude Duvalier. Après le départ de ce dernier, suite à un soulèvement populaire en 1986, vient le gouvernement de Henri Namphy. Celui-ci a envahi le marché haïtien avec ce même riz de Miami dont la vente à bas prix a porté un coup fatal à la production du riz national. Pourtant jusqu’à cette époque, Haïti produisait suffisamment de riz pour satisfaire les besoins de la nation. On se rappelle qu’après le passage du cyclone Flora en Haïti en 1954, les Agriculteurs de l’Artibonite avaient produit tellement de riz qu’au moment où les Américains voulaient apporter de l’aide alimentaire en Haïti, les Artibonitiens ont dit qu’ils avaient de quoi nourrir la population.

L’histoire est donc là pour nous éclairer, et nous, nous avons l’obligation morale de dénoncer la nature agressive de l’impérialisme. Car l’impérialisme est un système parasitaire, destructeur et moribond. La note de presse de l’Association des Industries d’Haïti traitant de la hausse annoncée du salaire minimum en Haïti en est un exemple flagrant. Dans sa note du 28 février 2008, l’Association des Industries d’Haïti avait indiqué que cette hausse du salaire minimum annoncée par le gouvernement sera suicidaire pour le pays. Alors que même les 150 gourdes signifiées dans l’avant-projet de loi ne pourront pas permettre à un ouvrier haïtien de vivre décemment. Le Ministre Haïtien des Affaires Sociales et du Travail a souligné, et c’est aussi mon point de vue, que dans la majorité des cas, ce montant facilitera uniquement aux gens de reproduire leur force de travail sans possibilité d’accumulation ni de pouvoir acheter d’autres services. Donc un moyen de subsistance, mais pas un salaire. C’est-à-dire la possibilité d’acheter de quoi manger pour pouvoir revenir travailler demain. On voit bien que le travailleur n’est plus une personne humaine, mais juste une force de travail. C’est donc une exploitation à outrance qui ne fait que refléter le vrai visage du capitalisme monopoliste.

On voit de tous les côtés que le système capitaliste monopoliste est un système criminel. D’un côté il y en a qui sabotent la production nationale via une importation massive, parce qu’ils en tirent profit et cela au détriment du peuple haïtien. De l’autre côté il y en a qui mangent le courage des travailleurs.
S’agissant de l’influence étrangère, on a toutes raisons du monde d’affirmer que, parmi tant d’autres, l’embargo économique imposé par les Etats-Unis sur Haïti, suite au coup d’Etat militaire du 30 septembre 1991 est responsable pour beaucoup dans la situation économique du pays aujourd’hui. C’était un embargo criminel. Car les militaires ont fait le coup d’Etat à la solde des Américains, puis ces derniers vont imposer un embargo pour forcer les militaires à quitter le pouvoir. Quelle hypocrisie ! En réalité l’embargo avait pour but de punir le peuple haïtien pour son soutien au Président Jean-Bertrand Aristide. Quant aux militaires, ils avaient tous les privilèges. C’est eux qui contrôlaient la distribution de l’essence et ils ont été payés pour la réalisation du coup d’Etat. Cet embargo a entraîné une flambée des prix des produits sur le marché et depuis, la vie devient de plus en plus chère en Haïti.

D’un autre côté, les grands commerçants haïtiens profitent de la situation pour faire du marché noir ; Il suffit que le prix du dollar américain augmente de quelques centimes pour que les commerçants doublent le prix des produits. Les responsables politiques sont toujours complices de ces tactiques.

Alors comment ignorer les démagogues de la ‘société civile’, financés par les impérialistes pour adoucir la nature oppressive de l’Etat bourgeois et la nature agressive de l’impérialisme ? Leur rôle, en tant qu’agents spéciaux de l’impérialisme, consiste à susciter un courant opposé aux luttes anti-impérialistes du peuple, à répandre le concept de collaboration avec l’impérialisme, les réactionnaires locaux et les entreprises monopolistes comme moyen de faire progresser la soi-disant ‘civilité’ et de justifier les interventions et les agressions des puissances impérialistes contre le pays, afin d’opprimer le peuple et l’exploiter davantage.
La lutte historique entre les forces de l’impérialisme et celles des peuples opprimés est loin d’être terminée. Le capitalisme, tel qu’il est pratiqué à travers le monde, n’est pas la fin de l’histoire. Si l’assassinat de Mackandal en 1758 n’a pas pu freiner la lutte pour la liberté et l’indépendance d’Haïti, c’est la preuve que même si la lutte des opprimés doit passer par des hauts et des bas et connaître des détours, ils pourront arriver à la transformation sociale dont ils rêvent. Car on peut opprimer un peuple pendant un certain temps, mais on ne peut pas opprimer tous les peuples tout le temps. L’aggravation de l’oppression et de l’exploitation est précisément l’une des raisons pour lesquelles le peuple doit mener la lutte de façon plus résolue et plus militante que jamais auparavant. Car plus on maltraite un peuple, plus sa réaction sera décisive. Car arrivé à un certain seuil de pauvreté, le peuple va considérer qu’il n’a rien à perdre, puisqu’il ne possède rien, il va estimer qu’il a tout à gagner quitte à perdre la vie. Car vivre sans dignité et sans droit n’est pas vivre. Seules les luttes du peuple peuvent mettre fin à la violence quotidienne de l’exploitation, du mépris, de la misère et de l’humiliation.

Aujourd’hui, Haïti est sous occupation. Le secrétaire générale de l’Onu tout comme le responsable brésilien de la force d’occupation veut maintenir les troupes étrangères en Haïti, avec la collaboration sans failles du Président René Préval. Mais lorsque le peuple haïtien sera résolu à défendre sa fierté, sa dignité et son indépendance, même avec leurs presque 10000 soldats, les occupants seront mis en déroute et se verront obligés de plier bagages.

Vive Haïti ! Vive la lutte du peuple !
16 avril 2008
www.ligue-haiti.org

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