“-Je la paye 45 rials par mois et bien-sûr elle est nourrie et logée. Les Indonnésiennes réclament plus, 60 rials. Mais comme tu le sais (en réalité, je ne sais rien du tout) leurs moeurs… ”
Voilà la conversation que j’ai eu hier avec un ami: de loin le plus ouvert et le moins antipathique des gens que je fréquente ici.
Les “rachats” de travailleurs en tout genre et de toute origine sont courrants ici et cette discussion n’a rien que d’anodin. Tout travailleur immigré doit passer par un “sponsor”, appelé “kafil”, qui se porte garant d’eux sur le sol béni de la péninsule.
Le plus souvent – et systématiquement lorsqu’il s’agit de travailleurs peu qualifiés – le sponsor confisque le passeport, controlant ainsi les moindres déplacements des travailleurs migrants. Ils peuvent -et souvent, ne s’en privent pas – interdire à leur “protégé” de se retourner dans son pays, la loi locale ne gratifiant les prolétaires que de deux mois de vacances après deux ans de travail effectif. Même cette loi n’est pas toujours respectée et je connaîs beaucoup d’individus “séquestrés” dans une cellule au dimension d’un pays, certes, mais non moins carcérale à leurs yeux (et à ceux des femmes, pères, mères et enfants qui les attendent au pays).
Le mépris dont ils sont l’objet dans cette société qui les accueille s’exprime de diverses façons. L’une des plus frappante cependant, est l’usage d’un sabir étrange, mélange de mots arabes, d’hindis, malayalam et anglais, qui se suivent sans articulateurs logiques, systématiquement utilisé par les locaux qui s’adressent à eux et présupposent d’emblée qu’ils seront incapables d’apprendre leur langue. De fait, dans ces conditions, très peu apprennent l’arabe – par manque de temps et d’occasion de l’entendre – mais tous croient le parler, car nul ne les a informé que cet étrange pidgin n’en est pas.
Un appartheid spontanné, bien que non institutionnalisé, les sépare de fait de leurs “protecteurs” (le mot “kafil” ne l’oublions pas, signifie garant).
Et pourtant, leur situation, ne semble intéresser personne. Nul ne s’alarme, ni dans le Golfe, ni à l’extérieur de leurs conditions de vie. Souvent, eux-mêmes sont incapables de les dénoncer, soit qu’ils craignent pour leur avenir, leur situation financière et le peu qu’ils ont pu construire avec leur sueur, soit qu’ils considèrent plus ou moins sincèrement que des tourments vécus à l’étranger soient préférables à ceux qu’ils auraient sans aucun doute endurés au milieu des leurs, puisqu’ils leur permettent, au prix du sacrifice de leur destin, de nourrir leurs proches, ou de construire un barraquement dans les environs de Chittagong.
L’industrie du cinéma de Bombay se penchent régulièrement sur la communauté indienne expatriée: depuis “Dilwale Dhulyanian Le Jayenge” à “My name is Khan” en passant par “Salaam Namaste” et “Pardes”. Je n’ai pas souvenir d’un film s’inspirant de ce migrants du Golfe. Tout au plus la cité-mirage de Dubai est-elle évoquée comme le repère de la mafia dans les films de gangsters.
Quant à l’Ouest, si fécond en “témoignage de femmes” du Golfe, maltraitées, opprimées par un maccisme supposé intrinsèque aux sociétés dites orientales, cet Ouest qui depuis “Jamais sans ma fille” produit par milliers des “histoires vraies” écrite bien douilletement par des Américaine, de princesses Saoudiennes en quête d’émancipation, à peine évoque-t-il la condition des prolétaires femmes (Philippines, Indonésiennes, Bengladeshies). Les hommes, quant-à eux, aussi évidente que soit leur aliénation, ne provoquent qu’indifférence. Triple indifférence de la société qui les “accueille”, de celle qui les a vu naître et de l’opinion occidentale, réputée si prompte à s’indigner.
À tout cela, s’ajoute le mépris.